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Fragment de bas-relief d’une scène de massacre des ennemis

 

 

 

 





Fig. 1 : Le fragment de bas-relief IES_2472A.

Cliché F. Colin ©Institut d'égyptologie de l'Université de Strasbourg

 

Le bloc de grès de l’Institut d’Egyptologie de Strasbourg répertorié sous le numéro IES_2472A (Fig. 1) est un fragment de bas-relief de modestes dimensions (L : 33,5 cm ; l : 18,5 cm ; h : 5,5 cm)1 qui a été intégré à la collection en 1948, suite à un don anonyme2. Son origine géographique ne peut donc être précisée.

Il présente le profil de quatre hommes regardant vers la gauche et levant devant leur visage une main implorante. À l’extrémité droite, les restes visibles d’une oreille et d’une coiffe laissent deviner la présence d’un cinquième individu au visage représenté de face.

Les quatre personnages de profil ont des faciès comparables et appartiennent à la même catégorie ethnique. Les lèvres sont épaisses, le nez est épaté et le front est haut : ce sont là autant de caractéristiques que l’on retrouve dans les représentations égyptiennes des prisonniers nubiens (Fig. 2). On peut y ajouter la chevelure crépue qui a ici été rendue par l’artiste par des petites bouclettes.

 

 

 

 










Fig. 2 : Détail d’un groupe de captifs comprenant des nubiens et des asiatiques.

(H.H.Nelson (ed.), Medinet Habu II. Later Historical Records of Ramses III, OIP 9, Chicago, 1932, pl. 101).

 

 Si l’origine ethnique des personnages ne semble pas pouvoir être mise en doute, plusieurs éléments stylistiques du relief sont atypiques. Le rendu en bourrelets des paupières, le caractère saillant des pommettes, la découpe en oblique du menton, la saillie de la pomme d’Adam et le rendu de la barbe par piquetage sont inhabituels du style égyptien dans le traitement de la figure négroïde.

Le thème traité sur le bas-relief fait partie des classiques de la sculpture égyptienne. Le tableau du roi présenté en train de massacrer une troupe d’ennemis est attesté pendant toute la période historique égyptienne. Ce thème iconographique a également été exporté et fut particulièrement prisé à Méroé et au Levant3. En Egypte, les scènes les plus anciennes sont datées de la période archaïque, les plus récentes de la période romaine4. Ce motif connaît un succès important au Nouvel Empire. Il orne principalement les faces extérieures des môles des pylônes (Fig. 3) et les parois latérales des murs d’enceinte des temples. L’usage de ce motif se fait plus rare entre les XXème et XXXème dynasties. Sans jamais disparaître, il connaît un regain d’intérêt aux périodes ptolémaïque et romaine.

 










Fig. 3 : Façade du pylône du temple des millions d’années de Râmsès III à Medinet Habou.

(Cliché ©Antikforever.com)

 

Si la position et la gestuelle royale changent peu entre les scènes les plus anciennes et les attestations les plus récentes, les choses sont différentes pour le groupe de captifs. Les changements interviennent aussi bien du point de vue de l’organisation générale de la troupe d’ennemis que de celui du traitement des prisonniers eux-mêmes. La disposition à genoux des captifs rangés sur plusieurs niveaux, à l’image de ce qui est observé dans la figure 2, n’est pas antérieure au règne de Thoutmosis III. Auparavant, les prisonniers sont debout, disposition qui sera reprise aux XXVème et XXXème dynasties ainsi que dans le contexte funéraire meroïtique. Au Nouvel Empire, les captifs sont ethniquement marqués (Fig. 2). On distingue aisément les Libyens des Asiatiques ou des Nubiens. Cette distinction se perd dans les scènes ptolémaïques et les attestations méroïtiques. Les facies des captifs sont caractéristiques du style égyptien ou méroïtique, mais sont ethniquement neutres, si bien qu’il est impossible de reconnaître une population particulière. Il s’agit d’un ennemi non marqué qui peut être identifié à n’importe quel opposant (Fig. 4-5).

 

 













Fig. 4 : Détail du groupe de prisonniers du môle ouest du pylône du temple d’Edfou (Ptolémée XII Néos Dionysos)

(U. Bartels, Edfu: Die Darstellungen auf den Außenseiten der Umfassungsmauer und auf dem Pylonen, ITE II/1, Wiesbaden, 2009, pl. XIII).

 












Fig. 5 : Dalle montrant une scène de massacre des ennemis au nom du prince Arikhankharer (période augustéenne)

(F.L. Griffith, « Meroitic studies III », Journal of Egyptian Archaeology 4, London, 1917, pl. V).

 

 

Aux périodes ptolémaïque et romaine, les artistes privilégient une organisation du groupe de captifs sur trois niveaux avec, au total, une trentaine de prisonniers5. Les captifs du premier niveau sont agenouillés. Les prisonniers regardent dans deux directions opposées, suggérant une masse circulaire. La jonction entre les deux groupes est assurée par un captif figuré torse et visage de face.

Les caractéristiques de la troupe d’ennemis du bloc IES_2472A sont celles des groupes sculptés à la période ptolémaïque avec un personnage central de face et des prisonniers non différenciés les uns des autres d’un point de vue ethnique. Sur le bloc, les cous et épaules des prisonniers sont visibles, ce qui indique que les captifs représentés sont ceux du registre inférieur, c’est-à-dire ceux qui étaient intégralement visibles (corps et visage ; voir par exemple fig. 4). Dans les scènes de massacre des ennemis organisées sur plusieurs registres, les coudes et bras des prisonniers du deuxième registre passent devant les visages des captifs les plus à l’extérieur du rang inférieur. Seul l’espace entre les visages et les mains des prisonniers du registre supérieur est vierge de tout élément. Or il s’agit de la situation observée sur le bloc IES_2472A. Cela démontre que les prisonniers du bas-relief étaient disposés sur un registre unique. Cette information, ajoutée à celles relatives à l’organisation générale de ces scènes à la Période Tardive, permet de proposer une restitution pour le groupe de prisonniers qui devait comporter dix individus (Fig. 6). Il est également possible de restituer les dimensions du groupe d’ennemis qui devait mesurer entre 1,30 et 1,50m de longueur (mains comprises).

 









Fig. 6 : Proposition de reconstitution du groupe d’ennemis du bloc IES_2472 A (L. Martzolff)

 

Ces éléments démontrent le caractère tout à fait exceptionnel de ce bas-relief sur de nombreux points. En premier lieu, du point de vue de la disposition des captifs et de leur nombre : si l’organisation d’une troupe d’ennemis sur un registre unique n’est pas inédite, elle reste exceptionnelle6. En deuxième lieu du point de vue de la taille de la scène : les dimensions restituées montrent que le tableau est bien plus petit que les scènes de massacre des ennemis des pylônes ptolémaïques d’Edfou et de Philae (respectivement 17 et 7 m environ), mais serait deux fois plus grand que la scène de la chapelle meroïtique Beg.N.19 et de dimensions tout à fait comparables à la représentation méroïtique du pylône de Naqa (Fig. 7-8)7. En dernier lieu, du point de vue du style de la sculpture. Si le motif traité est égyptien, le style ne l’est pas. Des rapprochements peuvent être faits, dans le traitement de certaines parties du visage, avec des bas-reliefs méroïtiques et perses, sans pour autant que nous ne puissions définir avec certitude l’origine de ce bloc.

Les nombreuses particularités de ce bas-relief (organisation du groupe, style) sont peut être le témoignage du traitement d’un motif égyptien par un artiste étranger.

 




















Fig. 7-8 : Façade du temple méroïtique de Naqa et détail du groupe d’ennemis

(http://camel76.wordpress.com/)

 

Laetitia Martzolff, membre associé de l'UMR 7044 

 

Bibliographie

 

Les scènes de massacre des ennemis

E.S. Hall, The Pharaoh Smites His Enemies, MÄS 44, Berlin, 1986.

S. Schoske, Das Erschlagen der Feinde. Ikonographie und Stilistik der Feindvernichtungen im alten Ägypten, Ann Arbor, 1994.

A.R. Schulman, Ceremonial Execution and Public Rewards, OBO 75, Freiburg, 1988.

 

Le bloc IES 2472 A

 L. Martzolff, « Un bas-relief de l'Université de Strasbourg appartenant à une scène de massacre des ennemis (IES 2472 A) », JEA 97, London, 2011, p. 1-15.

C. Karlshausen & T. De Putter (éd.), Pierres égyptiennes... chefs-d’œuvre pour l’Éternité, Mons, 2000, p. 205-206.

J. Parlebas (éd.), Antiquités égyptiennes. Strasbourg, exposition à l'Ancienne Douane 12 juillet-15 octobre 1973, Strasbourg, 1973, p. 58, n°286.

 


1 Pour une publication complète de l’objet, voir L. Martzolff, « Un bas-relief de l'Université de Strasbourg appartenant à une scène de massacre des ennemis (IES_2472 A) », Journal of Egyptian Archaeology 97, London, 2011, p. 1-15.

2 P. Bucher & J. Leclant, « La collection de l'Institut d'Égyptologie de Strasbourg », Bulletin de la société académique du Bas-Rhin pour le progrès des sciences, des lettres, des arts et de la vie économique, nouvelle série 57–60 (1953-1956), Strasbourg, p. 101.

3 S. Schoske, Das Erschlagen der Feinde. Ikonographie und Stilistik der Feindvernichtungen im alten Ägypten, Ann Arbor, 1994, p. 4. Le motif est souvent utilisé pour orner le médaillon des coupes metalliques phéniciennes.

4 E.S. Hall, The Pharaoh Smites His Enemies, MÄS 44, Berlin, 1986.

5 Vingt-et-une scènes de massacre des ennemis ont été répertoriées sur des monuments religieux ou funéraires en Egypte et à Méroé pour les périodes ptolémaïque et romaine.  Les scènes présentent majoritairement 30 captifs à l’exception de deux attestations d’Esna qui comptabilisent 42 et 72 prisonniers. Ce dernier exemple est tout à fait unique d’abord en raison du nombre de captifs, ensuite du fait de la présence d’une organisation sur quatre niveaux, enfin parce que les prisonniers sont ethniquement marqués. Pour cette représentation, voir S. Sauneron, Le temple d’Esna VII. Nos 547-646. Textes édités par Jochen Hallof, Le Caire, 2009, n°570.

6 U. Hölscher, Excavations at ancient Thebes 1930-31. OIC 15, Chicago, 1932, pl. III.

7 Voir respectivement S.E. Chapman & D. Dunham, The Royal Cemeteries of Kush III: Decorated Chapels of the Meroitic Pyramids at Meroe and Barkal, Boston, 1952, pl. XXII.C.I et Gamer-Wallert, Der Löwentempel von Naqca in der Butana (Sudan), III: Die Wandreliefs, BTAVO 48/3; Wiesbaden, 1983, pl. I–II.

 

 

 


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