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Véritable coussin antique, authentique amélioré ou faux ? Résultats d’une étude préliminaire menée sur un curieux artefact de la collection d’objets égyptiens de l’Institut d’égyptologie de Strasbourg (l’objet inédit n°358)

Responsable de l’opération

 Aude Gräzer Ohara

Fyssen Postdoctoral Fellowship held at the McDonald Institute for Archaeological Research, University of Cambridge

Alumna de l’Université de Strasbourg/UMR 7044, CNRS, Strasbourg

 

Début de l’opération

2014

Description

→ Du 21 au 30 octobre 2014, Aude Gräzer Ohara a débuté l’étude technique et contextuelle d’un objet assez rare appartenant à la collection égyptologique de l’IES et inscrit sous le numéro d’inventaire 358. Il s’agit d’un coussin de toile de forme rectangulaire (L33 min. x l20 x P8,5 cm : fig. 1-3) plutôt bien préservé, malgré une large déchirure qui laisse apparaître son matériau de rembourrage. Détail insolite, l’une de ses faces présente trois lignes d’une inscription hiératique à l’encre noire (fig. 4). Acquis en 1895 par l’égyptologue allemand Wilhelm Spiegelberg (1870-1930) à Dra Abou el-Naga, ce coussin est supposé provenir de la nécropole thébaine et dater de l’époque pharaonique (Nouvel Empire ou Période ptolémaïque), une datation fondée selon toute vraisemblance sur le style de l’inscription.

fig. 1 Coussin IES 358 dans sa boîte.

fig. 2 Vue générale du coussin IES 358, avec sa déchirure, son matériau de rembourrage et son inscription à l'encre.

fig. 3 Vue latérale de la partie la mieux préservée du coussin IES 358, avec sa couture et son inscription.

fig. 4 Détail de l'inscription (et d'un signe vu au microscope) tracée à l'encre à même la toile.

L’étude de ce curieux artéfact présente plusieurs intérêts. Tout d’abord, celui de nous offrir la chance incomparable d’examiner l’un des rares exemplaires conservés à ce jour de coussin pharaonique ; les éléments textiles du mobilier égyptien antique n’ont effectivement que très exceptionnellement traversé le temps dans un tel état de préservation[1]. Ensuite, celui de nous en apprendre davantage sur les conditions d’acquisition d’objets antiques en Égypte à la fin du XIXe siècle et de nous replonger plus particulièrement dans les circonstances dans lesquelles s’est constituée la collection d’objets égyptiens de l’IES et bâtie la carrière de l’un de ses principaux contributeurs, Wilhelm Spiegelberg.

L’achat du coussin 358 est intervenu au tout début de la carrière archéologique de Spiegelberg, à l’occasion de sa première mission en Égypte qui visait à constituer pour le compte de la Kaiser-Wilhelms-Universität (l’actuelle Université de Strasbourg) un fonds de photographies de monuments et d’objets authentiques destiné à servir de support pour l’enseignement[2]. Les archives conservées à Strasbourg nous apprennent que Spiegelberg a acheté ce coussin à Dra Abou el-Naga (Thèbes ouest), le 16 décembre 1895, auprès d’Idris Aouad[3], un habitant du hameau dont on sait par ailleurs qu’il accompagnait et assistait régulièrement le jeune savant strasbourgeois dans sa quête d’inscriptions rupestres et d’objets archéologiques. Or, ces mêmes documents laissent entendre que Spiegelberg suspectait cet objet de provenir de la fouille qu’il avait conduite personnellement ce même hiver 1895-96 dans la région thébaine, au Ouadi En[4], une fouille d’ailleurs menée avec l’assistance d’Idris Aouad.

→ Aussi la première mission d’étude menée cet automne a-t-elle eu pour double objectif premièrement de réaliser un premier examen visuel et technique du coussin visant à en établir les principales caractéristiques, et deuxièmement, de vérifier l’authenticité et le contexte d’acquisition de cet étonnant artéfact.

Un faisceau d’éléments suggère en effet que nous pourrions avoir à faire, sinon à un faux, au moins à un authentique « amélioré », autrement dit à un artéfact antique transformé au XIXe siècle dans le but de lui apporter une plus-value sur le marché des Antiquités. Indépendamment du contexte trouble d’acquisition du coussin (qui pourrait avoir été subtilisé lors des fouilles de Spiegelberg, avant d’être revendu à ce dernier), il est à noter le caractère particulièrement suspect de l’inscription à l’encre, que Spiegelberg puis les Berlinois Adolf Erman et Georg Möller (auxquels le savant strasbourgeois avait envoyé le coussin pour examen) ne sont pas parvenu à déchiffrer et qu’ils ont fini par considérer comme un faux imitant une véritable inscription hiératique.

Il importait donc de poursuivre l’étude du coussin 358 entamée par nos prédécesseurs allemands et de tenter de déterminer une fois pour toutes le degré d’authenticité de cet artéfact, en parvenant à préciser s’il s’agit en fin de compte d’un authentique coussin ancien porteur d’une pseudo-inscription elle aussi authentique mais rédigée en faux hiératique[5], d’un authentique coussin ancien auquel on aurait ajouté récemment une fausse inscription, d’une authentique pièce de tissu antique assemblée en coussin par un faussaire puis agrémentée d’une fausse inscription, voire d’un faux de fabrication moderne.

- La première étape de l’analyse conduite en octobre 2014 a donc consisté à extraire le coussin de la boîte de métal (portant l’inscription « 358 K.Drah.1896. » : fig. 1 et 5, 6-7) dans laquelle il semble avoir été conservé, sinon depuis son acquisition, au moins depuis son séjour à Berlin. Cette première manipulation a permis de constater que le matériau de rembourrage – si tant est qu’il s’agit bien du rembourrage original et non d’un ajout moderne visant à redonner sa forme au coussin – s’était répandu en quantité sur tout le fond de la boîte. L’exploration de la boîte a permis de mettre au jour deux autres fragments de textile (longueurs respectives d’env. 13,4 cm et 18 cm : fig. 8-10), dont il reste à déterminer s’ils proviennent ou non du même objet (analyse technique comparatiste en cours).

fig. 5 Boîte de métal ("358 K.Drah.1896") dans laquelle le coussin a été conservé depuis son séjour à Berlin voire depuis sa découverte.

fig. 6 Début de l'opération dans le laboratoire de l'IES.

 fig. 7 Extraction du coussin IES 358 de sa boîte.

fig. 8 Fragment de textile n°1 extrait du fond de la boîte avec vue au microscope de son mode de tissage.

fig. 9 Fragment de textile n°2 extrait du fond de la boîte avec vue au microscope de son mode de tissage.

fig. 10 Exploration du matériau de remplissage répandu au fond de la boîte et extraction des fragments de textile n°1 et 2.

- L’observation du coussin a permis d’apprécier son excellent état de conservation ainsi que d’évaluer ses dimensions originales (fig. 11). D’après les premières estimations, il semble que le coussin mesurait initialement env. 40 cm de long, des proportions qui pourraient à première vue coïncider avec la quantité de matériau de rembourrage stockée dans la boîte de métal. Malgré quelques petits trous de moins d’1 cm de diamètre et la grande déchirure en forme de croix qui a éventré le coussin, l’enveloppe de toile apparaît particulièrement bien préservée. La toile a conservé une grande partie de sa souplesse mais montre plus de rigidité au niveau des coutures et de la partie déchirée, qui s’est comme agglomérée. Le textile présente une couleur brun-orangé relativement uniforme (fig. 12), sauf à l’emplacement de l’inscription où une grande tache rectangulaire plus foncée tirant vers le brun-gris est clairement visible (fig. 3-4) ; celle-ci correspond très certainement au test de résistance à l’eau qui a été tenté par Georg Möller pour éprouver la qualité de l’encre de l’inscription[6].

fig. 11 Observation du coussin IES 358 visant à déterminer son mode de fabrication et à évaluer son état de conservation général.

fig. 12 Détail de la toile du coussin IES 358 et de sa couture d'assemblage.

- Deux échantillons ont été prélevés en vue d’être envoyés au laboratoire C14 de l’Université d’Oxford pour datation (fig. 13-15). Le premier parmi les fibres de rembourrage qui remplissaient encore la partie intacte du coussin (potentiellement moins perturbée), le second dans la toile elle-même, à un emplacement qui paraissait ne pas avoir subi trop de corruption (critères : souplesse, couleur claire, absence d’inscription). D’autres échantillons devraient permettre, après analyse au microscope, d’identifier la nature de la fibre textile utilisée pour l’enveloppe et celle du crin (végétal ?) employé comme rembourrage.

fig. 13 Prélèvement d'un échantillon du matériau de rembourrage du coussin IES 358.

fig. 14 Prélèvement d'un échantillon de la toile du coussin IES 358.

fig. 15 Pesée des échantillons destinés à la datation C14.

- Un examen technique a parallèlement été conduit afin de déterminer le mode de fabrication de ce coussin (fig. 8-9, 12, 16), et en particulier : 1. d’identifier la méthode de tissage utilisée pour réaliser l’enveloppe de toile, 2. les méthodes de filage (orientation et nombre de torsions) retenues pour réaliser les fils qui composent cette toile, ainsi que 3. le mode d’assemblage (couture) employé pour donner à cette unique pièce de tissu de format approximativement carré (estimation : env. L49 x l52 cm) la forme d’un coussin[7]. Ces observations techniques devraient permettre dans un second temps d’affiner la datation proposée par l’analyse C14 et peut-être d’attribuer cet artéfact à une période précise de l’histoire égyptienne.

fig. 16 Vue au microscope du mode de tissage de la toile du coussin IES 358.

- Enfin, l’étude de l’inscription va être reprise de manière à tenter de déterminer plus finement sa nature (fausse inscription moderne ou pseudo-inscription antique rédigée en faux hiératique).

→ La poursuite de l’examen du coussin 358 sera déterminée par les résultats obtenus à l’issue de cette première mission d’étude.

- Si l’authenticité de ce coussin est confirmée, il est certain que cet artéfact aura beaucoup à apporter à la compréhension de la culture matérielle d’époque pharaonique. Elle devrait permettre en particulier d’enrichir notre connaissance technique des textiles et éléments de rembourrage/garnissage (coussin, matelas, etc.) utilisés dans l’environnement mobilier égyptien. Une étude comparatiste s’intéressant aux autres exemplaires de coussins conservés à ce jour et aux représentations iconographiques de tels éléments mobiliers devra d’ailleurs être menée afin de déterminer les différents usages possibles de ce « meuble » en Égypte (ex/ siège, repose-pied, garniture de meuble, etc.). L’enquête visant à déterminer le contexte archéologique (funéraire ?) du coussin 358 devra parallèlement être poursuivie.

- Si, au contraire, son authenticité venait à être démentie définitivement par la datation au C14, le coussin 358 constituera de toute manière un intéressant cas de « faux » antique. Et son étude devra être poursuivie de manière à approfondir ce que nous savons des réseaux de faux et de faussaires dans l’Égypte du XIXe siècle.

→ L’étude du coussin 358 s’inscrit à la fois dans le programme d’étude et de publication des objets de la collection égyptologique de l’Institut d’égyptologie de l’Université de Strasbourg dirigé par le Pr. Frédéric Colin et dans le programme de recherche postdoctoral mené à l’Université de Cambridge par Aude Gräzer Ohara sur certains aspects du confort domestique égyptien.

 

Aude Gräzer Ohara

 


[1] Consulter en particulier le chapitre de G. Vogelsang-Eastwood consacré aux « Textiles » dans Nicholson, P.T. et I. Shaw (éd.), Ancient Egyptian Materials and Technology (Cambridge University Press), Cambridge/New York, 2000, p. 268-298.

[2] Voir Colin, Fr., « Comment la création d’une “bibliothèque de papyrus” à Strasbourg compensa la perte des manuscrits précieux brûlés dans le siège de 1870 », La revue de la BNU 2, 2010, p. 24-47.

[3] Consulter le message (non daté) adressé par W. Spiegelberg à A. Erman (Berlin) en accompagnement du coussin afin qu’il puisse examiner l’inscription.

[4] Fouille d’un puits identifié comme une fosse ou un atelier d’embaumement : Spiegelberg, W., « Zu dem Salzfund von Qurna », Orientalistische Literaturzeitung I, 1898, p. 259.

[5] On trouve pour l’époque gréco-romaine de courts textes funéraires sur papyrus rédigés en faux hiératique ou en faux démotique : Stadler, M.A., « Fünf neue funeräre Kurztexte (Papyri Britisches Museum EA 10121, 10198, 10415, 10421a, b, 10426a) und eine Zwischenbilanz zu dieser Textgruppe », dans Hoffmann, F. et H.J. Thissen (éd.), Res Severa Verum Gaudium. Festschrift für Karl-Theodor Zauzich zum 65. Geburtstag am 8. Juni 2004 (Studia Demotica 6), Louvain, 2004, p. 551-571.

[6] Test évoqué dans la lettre conjointe (datée du 5 février 1908, Berlin) que G. Möller et A. Erman ont adressée à W. Spiegelberg au moment de lui retourner le coussin.

[7] Consulter Kemp, B.J. et G. Vogelsang-Eastwood, The Ancient Textile Industry at Amarna (ExcMem 68), Londres, 2001.

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